Nakai Hideo (1922-1993) est un poète, écrivant aussi bien dans le cadre traditionnel du tanka que sous des formes plus modernes, et un romancier né dans la bourgeoisie intellectuelle de Tōkyō. Démobilisé après la guerre, il fréquente brièvement la faculté des Lettres de l’université de Tōkyō avant d’abandonner définitivement ses études. Engagé aux éditions Kadokawa Shoten pour superviser les revues consacrées au tanka, il découvre et encourage le talent de jeunes poètes tels que Tsukamoto Kunio ou Terayama Shūji, avec lesquels il conservera des relations amicales, de même qu’avec ses contemporains Mishima Yukio ou Shibusawa Tatsuhiko.

En 1964, sous le pseudonyme de Tō Akio, il publie L’Offrande au néant (Kyomu he no kumotsu titre emprunté au « Vin perdu » de Valéry), désormais considéré comme un des trois grands livres (sandaikisho) de la littérature policière japonaise (avec Dogra-Magra de Yumeno Kyūsaku et Meurtre au pavillon de la mort noire d’Oguri Mushitarō). Le compositeur Takemitsu Tōru admirait tant ce roman qu’il en a dessiné lui-même la couverture à l’occasion de la parution des Œuvres choisies de Nakai Hideo en 1969, unique incursion du musicien dans ce domaine et souvent citée comme telle dans les ouvrages qui lui sont consacrés. Suivront un très grand nombre d’œuvres romanesques, très souvent sous la forme de nouvelles reliées entre elles : Gensō hakubutsukan (« Le Musée fantastique ») en 1972, Akumu no karuta (« La pioche du cauchemar ») en 1973, Ningaikyōtsūshin (« Dépêches d’outre-humanité ») en 1976, Shinjumo no hako (« Le Coffret de nacre ») en 1978. Ces quatre recueils, augmentés de deux nouvelles, ont été repris en 1980 sous le titre Torampu-tan (« Récits-cartes à jouer »). D’autres textes peuvent être cités : Bara he no kumotsu (« Offrande à la rose », 1981), Kin to doro no hibi (« Jours d’or et de boue », 1984), Yosobito no yume (« Rêves de quelqu’un qui n’est pas d’ici », 1985). Il a également écrit de nombreux essais (Kentaurosu no nageki, « Lamentations du Centaure », 1975) et des recueils de poèmes tels que La Battée, Sakin wo arau kizara (« La Battée, l’écuelle de l’orpailleur », 1980). Yomotsuhegui (« À la table infernale », 1994) rassemble à titre posthume ses derniers textes inachevés ; en 2001 un choix de ses tanka a été réédité sous le titre Nakai Hideo Tanka-shū.

Dans la lignée d’un Hisao Jūran, dont il partage le souci du détail réaliste dans l’évocation d’un monde à la réalité flottante, Nakai Hideo développe une vision singulière, d’un pessimisme proche du nihilisme, au service d’une forme d’esthétisme morbide tempéré par l’humour. On pourrait le rapprocher de Genet, mais dans une veine fantastique affirmée qui atteint à sa pleine expressivité dans les contes liés des Récits-cartes à jouer, dont la nouvelle publiée sur Nouvelles du Japon est tirée du troisième recueil, Dépêches d’outre-humanité : volume qui, dans les quatre « couleurs » des cartes, selon l’auteur lui-même, correspond à la série des Cœurs.


Présentation par Thierry Maré, octobre 2020
Crédit photo : Honda Shoichi