Né en 1930 à Kamakura, Nosaka perd sa mère peu de mois après sa naissance et est élevé à Kobe par sa famille d’adoption. Il a donc presque quinze ans lors du grand bombardement de la ville (juin 45) pendant lequel son père adoptif meurt et sa mère adoptive périt de ses brûlures, le laissant errer dans les ruines avec sa jeune sœur qui mourra bientôt de malnutrition. Expérience primitive sans laquelle l’écrivain de renom n’aurait peut-être jamais vu le jour. Enfant de la « génération des décombres fumantes et du marché noir », il vit alors toutes les épreuves d’un gamin seul dans le Japon assommé et exsangue. Il sait déjà qu’il est un enfant adopté mais, placé en maison de correction, il est retrouvé par son père biologique en 1947, suit des études secondaires qui fourniront au lecteur boulimique qu’il était déjà l’occasion de dévorer tout ce qui lui tombe sous la main et d’acquérir une richesse de vocabulaire et d’écriture qui assiéront plus tard sa singularité. Il entre à l’université de Tokyo (littérature française) mais renonce rapidement. Vivant de petits boulots hautement divers et variés, il est pigiste dans un grand journal, écrit des sketchs, musicien il se fait connaître comme parolier de chansons, devient chanteur à succès et le play-boy à lunettes fumées, sportif (rugby et boxe), se taille une place de talento talentueux dans le milieu du showbiz.

Une occasion lui est donnée d’écrire (dernier numéro d’un mensuel promis à la disparition…) et ce coup d’essai sera un coup de maître. Nous sommes en 1963 et son Erogotoshitachi (Les pornographes) fait scandale en même temps qu’il est un succès (d’autant qu’un certain Mishima Yukio l’encense). En fait, on chercherait en vain la pornographie attendue dans ce récit sans concession, désopilant et attristant à la fois. L’écrivain a ainsi le pied à l’étrier.

S’ensuivront dès lors des rafales de nouvelles ou courts récits du même tabac dans lesquels il montre ses faiblesses (qui sont celles du genre humain), la face honteuse et les pulsions inavouées. Ainsi ses courts récits Tomuraishitachi (Les embaumeurs) avec ses thanato-escrocs, Tero Tero avec ses personnages toujours aussi hauts en couleurs qui virent progressivement au terrorisme… Personne autant que lui ne se met aussi à nu, n’étale autant ses complexes, parlant d’amour et de mort, revenant inlassablement sur ce qui l’aura marqué une fois pour toutes un jour d’été 45 à Kobe : la guerre. Ce qui donne ce chef-d’œuvre qu’est La tombe des lucioles, ainsi que les Contes de guerre présentés ici. Il reçoit le prix Naoki en 1968 pour deux nouvelles, La tombe des lucioles et Les algues d’Amérique.

Son style qui le classe à part est puisé dans ses lectures : langue de la période d’Edo autant que la langue d’aujourd’hui (parler des environs d’Osaka inclus). La première permet à l’amoureux du haiku de prendre son élan dans le style fondamental du 7-5-7 syllabes et de poursuivre durant des pages et des pages tumultueuses. La seconde permet au polémiste infatigable d’épingler les travers et les injustices de notre monde ; contestataire, il est pacifiste dans les années où les É-U sont encore au Vietnam, avec le Japon pour base arrière ; défend les diverses minorités exclues (cf La vigne des morts), la culture du riz en tant que symbole d’indépendance et de protection de la nature, l’environnement, pourfend le nucléaire…

Ses interventions lors de débats télévisés seront régulièrement sources de scandale car les paroles de notre homme public sont en quelque sorte autant de jets d’acide sur la surface vernissée de la société, et les politiciens véreux en prennent pour leur grade… Un temps sénateur, il démissionnera pour se présenter aux élections à Niigata contre l’ancien Premier ministre Tanaka Kakuei.

Il ne cessera jamais d’écrire, moins de nouvelles décapantes, certes, mais des ouvrages et essais davantage tournés vers la société et ses problèmes et, encore et toujours, vers son expérience vécue. Il traite ainsi de la question de l’âge, du milieu littéraire japonais (ce qui lui vaudra de recevoir le prix Izumi Kyōka).

Frappé par une thrombose cérébrale en 2003, cette forte nature, bien qu’âgée, entreprendra avec succès une longue rééducation durant laquelle il poursuivra une certaine activité d’écriture (feuilleton hebdomadaire dans un grand quotidien). Il meurt d’une insuffisance cardiaque en décembre 2015.


Présentation par Jacques Lalloz, mars 2020
Illustration : Ogino Issui, Ōyō Manga, 1903
Purchase, Mary and James G. Wallach Foundation Gift, 2013
The Metropolitan Museum of Art