Il était une fois… #3

chien, chat, boule d’écailles


Voici un troisième conte retranscrit et illustré par Miharu.
Retrouvez ici son introduction, pour en savoir plus sur ces contes et sa démarche.


Il était une fois…

un vieil homme très gentil qui vivait seul.

Un jour, de retour de la ville, il tomba sur des enfants qui harcelaient un chiot. Ils avaient attaché une corde à son cou et le lançaient dans la rivière, d’où ils le ramenaient pour recommencer, juste pour s’amuser.

« Oh là là, pauvre chiot… C’est trop cruel ! », s’écria le vieil homme.

Il donna quelques petites pièces aux enfants, sauva le chiot et rentra chez lui en le portant délicatement dans ses bras.

« Allez, mange du riz. »

« Allez, mange du poisson. »

Il éleva avec beaucoup d’amour le chiot, qui accepta sa présence et se lia même d’amitié avec un chat qui habitait déjà la maison.

Un jour, alors que le vieil homme était en train de casser un coin de son ancienne cuisine, un tout petit serpent blanc apparut comme un filet d’eau ruisselant. L’homme prit du riz dans sa main et le donna au serpent qui le mangea.

Petit à petit, il apprivoisa le serpent blanc et tomba sous son charme, au point de le placer soigneusement dans une petite boîte pour l’élever en cachette.

Le serpent grandit, grandit et devint trop grand pour sa boîte.

Le vieil homme l’installa donc dans un tiroir de sa commode. Le serpent grandit, grandit encore et devint trop grand pour ce tiroir.

Le vieil homme l’éleva alors dans sa maison. Mais le serpent grandit, grandit, grandit encore et encore.

Le vieil homme lui expliqua alors gentiment :

« Monsieur Serpent, Monsieur Serpent, cette pauvre maison est trop petite. Si j’y place ta tête, ta queue dépasse, et si j’y place ta queue, ta tête dépasse. Je ne pourrai plus te nourrir aussi bien qu’avant. Tu as suffisamment grandi et tu peux te débrouiller tout seul maintenant. Je crois que ni les milans noirs ni les faucons ne pourront t’attraper. Tu peux aller où tu veux et essayer de vivre seul ta vie. »

Le serpent blanc, comme s’il avait compris, descendit doucement des genoux du vieil homme et rampa vers le jardin.

Le vieil homme, qui avait de la peine à le laisser partir, le suivit pour voir où il allait. Sans faire de bruit, le serpent se glissa dans un trou au pied d’un pin du jardin.

« Ah, son ancien nid était ici… ? », se dit-il en regardant dans le trou. Quelque chose d’argenté brillait dans le noir.

« Hum ? Qu’est-ce que ce peut bien être ? »

Il prit soigneusement l’objet dans la main : c’était un trésor rarissime, que l’on appelait à cette époque une « boule d’écailles ».

« Curieux… Ce doit être une relique de Monsieur Serpent… »

De retour à la maison, il plaça soigneusement la boule au fond de sa commode.

Le lendemain, il voulut la regarder une fois encore. Mais, surprise !, elle avait pondu une pépite d’or. Dès lors, une pépite apparut tous les jours et le vieil homme devint très riche.

Faisant bon usage de sa fortune, il ouvrit un commerce de kimonos. Cette fois encore, les affaires marchèrent formidablement bien.

Un jour, un jeune homme du Kamigata[1] arriva au magasin et demanda avec insistance à être embauché comme commis, ce qui fut fait. Il était si brillant et il plut tellement au vieux patron que ce dernier lui confia la gestion du magasin.

Cela aurait dû suffire, mais seulement voilà, la convoitise n’a pas de bornes, comme on dit, et le commis commença à convoiter la boule d’écailles. « Si je pouvais avoir ce trésor ! »

Un jour où le vieil homme lui confia un instant la clé de la commode, il en profita pour lui voler la boule d’écailles et s’en alla très loin.

Dès lors, comme si la prospérité d’hier n’avait été qu’un mensonge ou qu’un rêve, les affaires n’allèrent plus. Le vieil homme s’appauvrit jour après jour et à la fin redevint le simple pauvre vieux, démuni de tout, qu’il avait été.

Un matin, caressant son chien et son chat, le vieil homme leur dit, les yeux plein de larmes :

« Monsieur Chien, Monsieur Chat, vous avez eu la gentillesse de rester chez moi pendant ces longues années. Mais maintenant, à cause de mon inattention, je suis redevenu pauvre. Je suis descendu si bas, plus bas que la poussière, que je ne pourrai plus vous donner la moindre queue d’anchois, ni même du riz aux herbes séchées. Je n’ai plus rien. Il faut que vous quittiez cette maison et essayiez de vous débrouiller seuls, avec courage. »

Le chien et le chat l’écoutèrent et partirent d’un air abattu.

« Tout est de la faute de ce commis venu du Kamigata », pesta le chien.

Il commença à renifler et à suivre la trace du commis voleur. Le chien et le chat marchèrent, marchèrent, marchèrent et arrivèrent, au bout de quelques semaines, devant un magasin dans une ville du Kamigata.

C’était justement celui que le commis avait ouvert et que le chien avait découvert grâce à son flair. Situé en centre-ville, et grand en plus, il était le symbole de la prospérité.

Le chien et le chat se concertèrent et établirent un plan.

Le chat s’infiltra d’abord dans la cuisine du magasin, vola un gros poisson et s’enfuit. Puis le chien le poursuivit en criant « sale chat errant ! » et récupéra le poisson. Ravies, les employées du magasin s’écrièrent :

« C’est un chien vraiment utile ! Gardons-le ! »

Le chat miaula alors d’une voix cajoleuse :

« Moi, j’attraperai toutes les souris de cette maison, jusqu’à la dernière. Gardez-moi, s’il vous plaît… »

Les deux complices furent admis dans le magasin du commis, mais, pour les souris, panique totale.

« Hier, la souris Tarō a été attrapée ! Aujourd’hui, à qui le tour ? »

« Il faut faire quelque chose ! Quelle solution… »

Les souris se rassemblèrent et, en chuchotant, établirent un plan.

Elles envoyèrent un représentant pour négocier avec le chat.

« Ne nous attrapez plus, je vous en supplie. Aidez-nous à sauver notre famille. Nous ferons tout ce que vous nous demanderez. »

Heureux en son for intérieur, le chat répondit avec solennité, sans trahir ses sentiments :

« C’est une chose impossible en principe, mais cette fois-ci, exceptionnellement, j’accepte, à une condition. Au fond du magasin, il y a une commode. Allez ronger autour de la clé de cette commode, prenez une boule d’écailles qui est dedans et apportez-la moi. Si vous le faites, je vous épargnerai. »

À ces paroles qui le satisfaisaient, le représentant des souris répondit :

« Cela sera fait comme vous voudrez. Sans problème. »

Dès son retour, il rassembla toutes les souris, qui grignotèrent la commode, récupérèrent la boule et la remirent au chat.

Sur le champ, le chien et le chat prirent la poudre d’escampette et retournèrent chez le vieil homme. Ils marchèrent, marchèrent, marchèrent une fois de plus, pour se retrouver devant un fleuve.

« Oups…, comment traverser… ? », s’inquiéta le chat.

« Monte sur mon dos ! », répondit le chien.

Le chien nagea, portant le chat sur le dos, et le chat tenant la boule dans la bouche. Ils réussirent ainsi à traverser le fleuve.

Alors qu’ils arrivaient sur la rive opposée, un renard apparut par hasard.

Miharu, Chien, chat, boule d’écailles, 2015

« Tiens, Monsieur Chien, Monsieur Chat, qu’est-ce que c’est ce truc rond ? Si c’est un petit ballon, jouons ensemble », proposa le renard.

Les trois se mirent à jouer et, en lançant la boule de-ci de-là, laissèrent le temps passer. À un moment, le renard rata la réception et la boule si précieuse tomba dans le fleuve.

« Ah ! Qu’est-ce que nous sommes stupides ! On a fait une énorme bêtise ! »

Affolés, le chien et le chat cherchèrent partout dans le fleuve, mais ne trouvèrent pas la boule. Elle avait disparu.

Rageant, mais sans autre solution, ils prirent le chemin du retour, escaladant des montagnes, traversant des rivières. Ils marchèrent encore.

Ils arrivèrent un jour dans une ville et tombèrent devant une poissonnerie. Ils n’y prêtaient pas attention, quand un énorme poisson, qui dansait sur un rayon, les éclaboussa d’eau. Il semblait tout frais. Sans doute venait-il d’être pêché.

« Humm, nous n’avons rien à ramener à Monsieur, c’est bien dommage, mais nous rentrerons au moins avec ce poisson-là, comme souvenir », se dirent le chien et le chat. Ils attrapèrent le poisson et s’enfuirent, s’enfuirent, s’enfuirent au loin et arrivèrent enfin chez le vieil homme.

Fou de joie, celui-ci s’écria :

« Oh ! Où étiez-vous ? Vous ne m’aviez pas oublié et en plus vous revenez avec un poisson grand comme ça ! »

Il pleurait de joie.

Le vieil homme commença tout de suite à faire la cuisine et essaya de couper le poisson en deux. Mais il rencontra une résistance inattendue. Étonné, il voulut cette fois l’émincer soigneusement. Surprise !, la boule d’écailles sortit du ventre du poisson.

« Oh, oh, oh ! Quel miracle ! Vous avez réalisé un grand miracle, mes amours ! », s’écria le vieil homme, fou de joie. Le chien et le chat sautèrent d’allégresse, eux aussi.

Et la maison des trois amis redevint aussi prospère qu’avant.

Dontohare


[À suivre…]


[1] Ancien nom de la région du Kansaï dont les principales villes sont Ōsaka et Kyoto.


Miharu, Douze contes japonais, 2020

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