le chat du bonze
Découvrez le quatrième conte retranscrit et illustré par Miharu.
Retrouvez ici son introduction, pour en savoir plus sur ces contes et sa démarche.
Il était une fois…
dans un village aussi pauvre que ses villageois, un temple bouddhique très pauvre, qui n’était tenu que par un seul bonze.
Celui-ci se sentait tellement seul dans sa vie quotidienne qu’il partageait ses journées avec un chat mike[1]. C’était pour lui comme son enfant. Il lui donna tant d’amour que le petit félin vécut longtemps et, le moment venu, devint un très vieux chat.
Une nuit, alors que le bonze rentrait chez lui tard après avoir célébré un service commémoratif chez une famille de fidèles, des éclats de rires et des bruits se firent entendre depuis l’intérieur. C’était étrange. D’habitude son temple dormait, à cette heure-ci, dans un silence de mort.

Intrigué, le bonze s’approcha à pas feutrés et jeta un coup d’œil discret par une petite fenêtre donnant sur la salle de prière.
Stupéfaction.
Son chat mike, devenu énorme, était en train de danser ! Bien plus, il avait mis une robe de bonze, sur laquelle tremblait une étole. Il dansait ainsi au milieu de nombreux chats qui le regardaient !
« Hum… J’ai entendu dire que si on retient trop longtemps un vieux chat, il se transforme parfois en un félin monstrueux… Mon chat commence-t-il à se métamorphoser ? », se demanda le bonze.
Il toussota et ouvrit bruyamment la porte d’entrée en disant :
« Mon matou, tadaïma ![2] Je suis revenu. »
Le chat avait sans doute pensé que le bonze ne rentrerait pas si tôt. Surpris, il reprit en un clin d’œil sa taille normale et vint aux pieds de son maître pour câliner ses jambes. Mais le bonze alla se coucher dans sa chambre en le laissant dans la salle.
La nuit avançait.
Alors que le bonze dormait, quelqu’un tira le bout de sa couverture en l’appelant, « Monsieur le bonze, Monsieur le bonze… »
« Que se passe-t-il ? Qui est-ce ? », dit le bonze, en se redressant sur son futon, le visage encore endormi.
« C’est moi. C’est Mike. »
Son chat lui parlait.
« Monsieur le bonze, j’ai eu le bonheur de vivre longtemps à vos côtés, toutefois j’atteins désormais l’âge de me changer en monstre… Comme vous l’avez découvert ce soir, je ne peux plus rester ici… Je vous prie de me mettre à la porte dès demain », demanda-t-il.
« Mon matou, même si tu te transformes, ça ne me dérange pas tant que ça. Mais si tu veux partir à tout prix, je ne t’enferme pas non plus. Fais comme tu voudras », répondit le bonze.
Complètement réveillé, assis sur son futon, il se dit :
« Maintenant je m’en rends compte… En effet, il y avait des choses bizarres. Un matin, quand j’ai pris ma robe de bonze, le pan était un peu mouillé. Je n’ai pas compris pourquoi et n’ai pas cherché plus loin, mais c’était Mike qui avait fait pipi au lit… »
Pensant à la séparation du lendemain, envahi par les souvenirs et la tristesse, il n’arriva pas à se rendormir. Il ne cessait de penser à son chat.
Le jour se leva.
Le bonze fit cuire un shō[3] de riz et le couvrit abondamment de flocons de bonite séchée[4] , pour que son chat puisse manger à satiété.
« Mike, mon matou, tu peux partir où tu veux, mais mange d’abord pour te remplir le ventre. »
Le vieux chat mangea, puis regarda longuement le visage du bonze et se dirigea vers le portail du temple. Là, au bas du chemin, il se retourna, miaula deux fois, puis partit définitivement.
Environ dix jours plus tard, un vieux monsieur riche qui habitait loin de ce temple mourut.
Sa famille organisa les funérailles, mais alors que la cérémonie commençait, un orage survint. Le ciel noircit soudain, de fortes pluies s’abattirent, le tonnerre gronda. L’orage était si violent qu’il était impossible de partir au cimetière avec le cercueil. La famille fut alors obligée de repousser l’enterrement.
Trois jours plus tard, la famille organisa une nouvelle fois les funérailles, en faisant venir le bonze d’un autre temple. Mais au moment où le cortège se mit en route, une forte rafale de vent souffla brusquement et le tonnerre gronda derechef.
Cela faisait déjà cinq ou six jours que le défunt et son âme n’avaient pu partir. Un vrai casse-tête pour la famille.
Alors, le chat mike revint à son ancien temple :
« Monsieur le bonze, je suis revenu pour vous rendre le bien, dit-il. Un homme riche est décédé, mais sa famille est très ennuyée car elle n’arrive pas à célébrer les funérailles. Si vous y allez, je vais faire en sorte que celles-ci se déroulent bien. C’est un peu loin, mais allez-y et demandez à la famille de vous laisser présider la célébration. »
Cela fit sourire le bonze, mais il se dit :
« Si mon chat adoré le dit, alors pourquoi pas, je vais essayer. »
Il se vêtit bien et partit. Il frappa au portail et répéta ce que son chat lui avait indiqué.
Les membres de la famille étaient hésitants :
« Alors que plusieurs bonzes très connus n’y parviennent pas, comment un bonze aussi pauvre pourrait-il célébrer les funérailles ? »
De plus, le ciel était toujours teinté de gris sombre.
Mais le bonze affirma qu’il serait à la hauteur. N’ayant pas d’autre choix, finalement, la famille accepta.
Surprise.
Dès que le bonze commença à réciter des soûtras, le temps changea soudain. Le ciel se dégagea et le soleil perça. La famille put réaliser enfin de dignes funérailles.
« Ce bonze est magique ! », se dirent les gens.
Sa réputation se répandit dans la région entière. La famille, toute contente et avant tout soulagée, vint le remercier avec beaucoup d’argent.
Le temple pauvre, qui était au bord du gouffre, avec un seul bonze vieillissant et sans successeur, se redressa ainsi et fonctionna longtemps.
Alors, le bonze construisit un nouveau portail en souvenir de Mike et le nomma : « Portail au chat ».
Mukashikappuri, dorankechiri, kochaitaï.
[Fin]
[1] Chat japonais au poil tricolore, blanc, roux et noir. Le bonze, sans imagination, l’a nommé Mike.
[2] La formule consacrée pour annoncer son retour à la maison.
[3] Environ 1,8 litre, équivalent à une bouteille de saké. Le bonze tenait vraiment à ce que son chat soit repu !
[4] Les flocons de bonite séchée sont une des bases de la cuisine japonaise. Autrefois précieux, on les remplaçait souvent par de petits anchois séchés moins chers.
Miharu, Douze contes japonais, 2020