Ici et ailleurs #1

Les éditions Chūō-kōron m’avaient proposé à la fin de l’année d’écrire un essai pour le bulletin des œuvres complètes en cours de parution de Tanizaki Jun.ichirō. On attendait de moi non pas tant l’analyse d’une œuvre qu’un souvenir personnel s’y rattachant, aussi avais-je songé à écrire sur Bruine de neige[1].

Bruine de neige, je l’avais lu dans l’édition de poche Shinchō en trois volumes. En emportant avec moi le dernier, que je venais à peine de commencer à lire, j’étais allé passer la dernière semaine du mois de septembre dans le département de Wakayama où mon ami Ebigasawa m’avait hébergé. Ma gueule de bois y était permanente à cause de beuveries répétées tous les soirs avec les amis de ce dernier. Lui partait travailler la journée, même si ce n’était que pour la forme, dans une entreprise qui s’occupait du ménage et des diverses activités de maintenance dans les hôtels et dont il était le patron ou encore seulement le gérant. Il en revenait bien plus tôt qu’en fin de journée, vers les trois heures ; durant ce court laps de temps, je restais à lire le dernier volume de Bruine de neige dans le logement où vivait le couple Ebigasawa fraîchement marié, à quelques pas de la maison familiale. Ebigasawa ne manquait pas de me le rappeler chaque fois que l’occasion s’en présentait : 

« Tu avais rappliqué jusqu’à Wakayama pour passer la journée à lire Bruine de neige couché par terre dans mon appart. »

Mais, à moi, le souvenir m’en échappait. C’était en 1987. 

Je n’avais bien sûr pas oublié que je lisais Bruine de neige durant le séjour chez lui à Shirahama, mais je n’arrivais pas à broder le moindre fil entre ce roman et ma visite aux eaux des nombreux hôtels que compte Shirahama, à ses bains municipaux ou à la station thermale qui se trouvait en amont de la route nationale, en bordure du fleuve. Pas moyen d’écrire donc. C’était pourtant ce que je voulais faire : ma lecture de Bruine de neige allait de pair avec les thermes de Shirahama et je me souvenais chaque fois de cette semaine comme d’un poisson qui frétille.

On était alors en pleine période de bulle économique et même dans sa phase ascendante. Moi qui travaillais pour un salaire modique au centre culturel des grands magasins Seibu, je n’en tirais aucun avantage, mais nous étions, tous les employés, des plus hauts placés jusqu’aux plus ordinaires, on ne peut plus insouciants, à un point que sans doute les jeunes gens qui n’ont connu que la stagnation et la morosité qui règnent aujourd’hui ne pourraient imaginer. Dans les années soixante-dix, j’avais beau avoir appris dans les manuels d’histoire ce qu’était censé avoir été la démocratie de Taishō, je me demandais s’il y avait une quelconque différence entre la société d’alors et celle qui allait suivre et se diriger vers la guerre, mais si : celle qui permet de distinguer une société euphorique d’une société morose.

J’avais lu un essai, j’ai oublié par qui et sur qui il était écrit, dans lequel il était dit qu’aux yeux de la génération de la période de la guerre, l’allégresse de celle qui avait vécu son adolescence ou son enfance sous la démocratie de Taishō avait quelque chose d’inimitable et même de précieux ― je me dis que ce doit être aussi le cas pour ma génération aux yeux des jeunes aujourd’hui, et, s’il est une chose qui représente cette allégresse dans mes souvenirs, c’est assurément cette semaine passée à Shirahama pendant laquelle je lisais en effet toute la journée Bruine de neige.

Enfin, je dis toute la journée mais ce ne devait être tout au plus qu’une demi-heure, bien moins d’une heure en tout cas ; si j’en avais lu chaque jour une heure, vu qu’il ne s’agissait que du dernier volume, j’aurais eu fini de le lire avant que la semaine ne s’achève. Au reste, mon souvenir de ces journées renvoyait, plus qu’à la lecture de Bruine de neige, à mes fréquents échanges avec la maman d’Ebigasawa qui était fort loquace :

« Dites, comment qu’il s’appelle déjà ? Vous savez, le comédien qui raconte des choses drôles à la télé, quelque chose Yūji… »

Elle n’arrêtait pas de dire que je ressemblais à Miyake Yūji et de me parler en répétant à intervalles réguliers que je la mettais à l’aise parce que je n’avais pas les airs de quelqu’un de Tōkyō ― ce qu’évidemment, étant donné que la conversation de la maman d’Ebigasawa n’avait rien à voir avec Tanizaki, je ne pouvais pas évoquer dans le bulletin de ses œuvres complètes.

De telle sorte que je m’étais décidé à écrire plutôt sur les Morosités d’un hérétique.

Il y avait trois ouvrages que j’appelais, moi seul et de longue date, les Trois sombres jeunesses : Sombre jeunesse/Ennui du diable de Sakaguchi Ango, Yukino de Otsuji Katsuhiko et les Morosités d’un hérétique. Le premier est un recueil de nouvelles autobiographiques compilées par les éditions de poche Kadokawa dans les années 70, le deuxième un roman dans lequel Otsuji Katsuhiko, le nom de plume d’Akasegawa Genpei, tout en commençant par son enfance, se remémore principalement les temps où il étudiait la peinture dans une extrême pauvreté. Chacun prend pour sujet moins la jeunesse que les difficultés qui précèdent les débuts de l’artiste. Je les avais lus dans l’ordre suivant : Morosités d’un hérétique puis Sombre Jeunesse/Ennui du diable la quatrième ou cinquième année à l’université et Yukino la troisième année après mon entrée dans la vie professionnelle.

Pour un jeune qui a décidé de « devenir écrivain », du jour de cette résolution jusqu’à celui où il fera ses débuts dans le monde littéraire, aussi désinvolte et joyeux qu’il puisse paraître, l’idée de « devenir écrivain (mais de ne pas l’être encore) » lui pèse vertigineusement ; maintenant que j’ai atteint mes soixante ans, ma vingtaine m’apparaît dégagée de tout souci comme un beau ciel d’été, mais je n’en étais pas moins alors rongé au tréfonds de ma conscience par un lourd souci. Voilà ce que j’avais écrit dans le bulletin ― je suis même en train de recopier pratiquement tel quel ce que j’y avais écrit.

C’est un peu après le vingt décembre que m’avait été faite la proposition d’écrire un texte pour le bulletin et, la fin de l’année, je relisais par petits bouts les Morosités d’un hérétique qui pourtant n’était pas bien long, à un rythme de quatre cinq pages par jour. Le dernier jour de l’année, à sept heures du soir, alors que je suivais à pied le chemin du bus qui de la gare menait à la maison de ma famille puis au temple Hase et que j’avançais dans la rue commerçante bien plus éteinte que d’accoutumée à cause de ses boutiques toutes fermées, je m’étais rappelé que, à six heures du soir le jour de l’an de ma cinquième année à l’université, je longeais ce chemin dans le sens inverse.

La ville de Kamakura tout entière se remplit de monde à partir de dix heures du soir le dernier jour de l’année en vue de la première visite au temple et la cohue persiste le lendemain avant de s’évanouir à la tombée du jour ; sans doute, en cette cinquième année à l’université, me trouvais-je dans un état d’esprit qui me faisait préférer les rues désertées. Tandis que je marchais au même endroit cette veille du nouvel an, je me rappelais que j’étais alors justement en train de lire les Morosités d’un hérétique. Il s’agissait de ma deuxième lecture, peut-être même de la troisième ; chose rare dans mon cas, je l’avais en effet lu plusieurs fois ― cela aussi, je l’avais écrit dans le bulletin.

En relisant cette fois les Trois sombres jeunesses, j’avais trouvé Yukino plus particulièrement sombre et m’étais dit que ce n’était tout de même pas rien pour son auteur, Akasegawa donc, d’être parvenu à l’écrire et pour moi d’avoir pu le lire jusqu’au bout (avant mes débuts dans le monde littéraire, je lui avais dit : « j’aime beaucoup votre Yukino » lorsque je l’avais rencontré au centre culturel, mais il n’avait pas réagi et, plus tard, durant la séance qui avait lieu le même jour, il s’était mis à parler, comme si cela lui était soudain revenu à l’esprit, de son roman également autobiographique Faux-monnayage en disant : « Ça, c’était un vrai supplice »).

Moi, je n’avais pas pu comme Tanizaki dans les Morosités d’un hérétique faire mes débuts pendant que j’étais encore étudiant ― le texte, après avoir longuement décrit les impasses auxquelles était confronté son personnage, se termine brusquement sur ces trois lignes après un blanc : « Deux mois plus tard était publiée une nouvelle composée par Shōzaburō (nom du personnage). Son récit était complètement à contre-courant du roman naturaliste alors en vogue : un art aux émanations suaves et doucereuses, se nourrissant des mauvais rêves qui germaient dans sa tête. » Je m’étais même longtemps mis en tête que ces dernières lignes disaient aussi que sa nouvelle avait été accueillie avec les louanges du célèbre Nagai Kafū, précision qui ne figurait en réalité que dans la postface du livre de poche. Trois années allaient alors s’écouler depuis mon entrée dans la vie professionnelle et j’avais eu beau avoir l’intention de faire mes débuts pendant que j’étais encore à l’université, mon vœu n’avait pas été exaucé (forcément, puisque je n’avais pas encore écrit de roman). Trois années étaient donc passées depuis et ― si j’ai écrit à l’instant que l’idée de « devenir écrivain (mais de ne pas l’être encore) » me pesait vertigineusement, ce n’était qu’un expédient pour rendre l’essai plus digeste ― je sortais boire tous les soirs ; je dois même reconnaître que je n’en pouvais plus tellement je m’amusais tous les jours, à tel point que j’avais sans doute eu besoin de l’antidote que représentait la lecture d’un livre comme Yukino, si déprimant que je n’étais pas parvenu cette fois-ci à le relire entièrement. Le bulletin se poursuivait (même si la restriction du nombre des feuillets m’obligeait à simplifier les choses, il ne m’était pas non plus désagréable d’écrire sous cette contrainte) :

Dans le recueil des nouvelles autobiographiques d’Ango, c’est Le Vœu de la pierre qui évoque son enfance que je préfère. En voici un extrait :

« Aujourd’hui encore, c’est la mer que j’aime par-dessus tout. J’aime les plages monotones. Quand je m’y couche pour regarder la mer et le ciel, je peux y rester des journées entières, je sens en moi quelque chose se combler : un cœur, greffé en moi à mon insu alors que j’étais gosse, qui s’emplit du sentiment du pays natal. »

Je ne puis citer ce qui suit à cause de la limitation du nombre de pages, mais Ango (bien que le genre de cette nouvelle relève du roman, il ne doit pas y avoir d’inconvénient à l’appeler Ango puisqu’il a recours à la première personne et non, comme tout à l’heure avec Shōzaburō, à un nom imaginaire) enchaîne par un : « Et pourtant, de cela, j’étais resté sans m’en apercevoir. »

Alors qu’il croyait que quiconque ne pouvait qu’aimer ces spectacles de désolation sans fin qu’offrent la mer, le ciel, un désert ou un plateau, un ami qui, sur ses recommandations, s’était rendu sur le plateau d’Asama, en était revenu en disant : « Je n’ai jamais rien vu d’aussi moche. » Ango s’était ainsi rendu compte que la plupart des gens appréciaient plutôt les paysages riches en montagnes et cours d’eau. En retournant cette fois le dernier jour de l’année à la maison parentale, j’avais retrouvé parmi les quelques livres de poche que je ne m’étais pas résolu à jeter Sombre jeunesse/Ennui du diable : je n’avais pas souligné ce passage, je l’avais parcouru sans m’aviser de rien alors que bien d’autres l’étaient, soulignés, ou avaient leur page cornée. Comment se faisait-il que l’endroit auquel j’allais le plus vivement réagir trente-huit ans plus tard m’ait alors laissé indifférent ?

C’était ce : « Et pourtant, de cela, j’étais resté sans m’en apercevoir. » qui suit le passage cité qui est crucial, et c’est précisément de ceci que, en le lisant, « j’étais resté sans m’en apercevoir » ― j’en déduisais que si je ne m’en étais pas aperçu, c’était précisément parce que je savais plus que tout que j’aimais la mer et que, le sachant, je n’avais pas éprouvé le besoin de réagir à cet endroit.

C’est seulement après mes trente ans, soit après mes débuts en tant que romancier, que j’ai pris conscience de ce qui me différenciait des autres du fait d’avoir grandi près de la mer. Je m’en étais donc rendu compte d’une façon tout-à-fait similaire à celle d’Ango lorsqu’il écrit que lui-même ne s’en était pas aperçu. Certes, ce que lui aimait, c’étaient les paysages de désolation sans limite plutôt que la mer ou le ciel, ce qui n’était pas exactement la même chose dans mon cas et ce dont je ne m’étais pas rendu compte non plus avant de relire deux ou trois fois ce passage en vue de la rédaction du texte pour le bulletin ; mais, enfin, quel autre romancier qu’Ango s’est-il senti obligé d’écrire aussi expressément qu’il aimait la mer, qu’il aimait le ciel ?

Dans le bulletin, après avoir consigné succinctement ces choses en me conformant au genre de l’essai, j’avais écrit que la manière du retour sur soi d’Ango était sèche et distante, proche du profilage de l’enquête policière ; son sujet avait beau être lui-même, il s’écartait complètement du roman intimiste habituel. J’ajoutais que Mishima Yukio aurait davantage penché vers le narcissisme et que, dans le cas de Tanizaki Jun.ichirō, cela donnait les Morosités d’un hérétique. Qu’était-ce donc si ce n’était ni le roman intimiste, ni l’amour de soi, ni même le profilage ? ― L’esthétisme.

Tanizaki en cette période verse dans l’esthétisme même lorsqu’il traite d’un sujet autobiographique. Là-dessus, je notais que, après avoir persisté pendant plus de trente ans à associer dans mon esprit les trois textes, d’une façon on ne peut plus approximative, sous le terme des Trois sombres jeunesses, j’avais eu le sentiment d’ouvrir enfin les yeux sur le fait qu’ils avaient beau traiter des mêmes souffrances de la jeunesse, les trois ouvrages adoptaient trois formes totalement divergentes. Ce n’était d’ailleurs pas un sentiment et je devais admettre que je m’étais totalement aveuglé en les mettant dans le même sac ; on pouvait toujours tenir ce genre d’assemblage hétéroclite pour ce qu’on appelle des mélanges, mais il me fallait reconnaître que procéder à l’assimilation de choses hétérogènes en connaissance de cause ou sans s’en rendre compte, ce n’était pas du tout pareil, que c’était un travers chez moi que de m’y complaire.

Ce qui est tenu pour de l’esthétisme relève de l’Idée et donc de la métaphysique, de sorte que dans ce récit ce qu’on appelle le temps ne s’écoule pas. Le temps fait croître mais il corrompt aussi, et c’est dans le monde physique qu’il agit. L’Idée, qui n’appartient pas au monde physique, est extérieure aux lois du temps. La petite sœur O-tomi de Shōzaburō est sur le point de mourir alors qu’elle n’a que quinze ou seize ans (selon l’ancienne façon de compter l’âge, de surcroît), mais, étant ici elle aussi une catégorie esthétique, cette mort ne nous touche pas comme peuvent le faire la misère et la douleur dans Yukino.

« Devant le regard glacial qu’elle lui retourna, ce regard terrible mais étrangement serein, pareil à ce que devait être celui des sorcières en Occident, il ne put que se taire. S’il se disputait maintenant avec sa sœur, ces yeux inquiétants rivés sur lui ne manqueraient pas après sa mort de demeurer encore longtemps dans cette chambre pour, nuit après nuit, continuer à le fixer. »

Par cette façon d’écrire qui permet, pour qui le souhaite, d’interpréter le regard de sa sœur sur son lit de mort comme ce qui serait à l’origine du masochisme de l’auteur, s’entretient également le fantasme selon lequel la décision de vivre son masochisme serait un moyen de faire survivre le regard de sa sœur. Dans cet univers régi par l’esthétisme, pourvu que lui continue à assumer son masochisme, sa sœur réduite à un regard ne mourra pas.

Il s’agit en somme d’une œuvre littéraire de haute volée et aussi, dit autrement, des plus ordinaires (pour commencer, cette sœur de Tanizaki Jun.ichirō a-t-elle vraiment existé ? il faut croire que oui puisque le récit est qualifié d’autobiographique, mais il n’empêche que plus je le lis plus cette sœur me paraît s’effacer, se réduire littéralement à un regard, à une Idée). Au temps où j’étais étudiant, ignorant la notion de sublimation, j’avais trouvé que c’était « une histoire sombre » en prenant platement pour argent comptant les matières et faits décrits ; pensant que, s’il y avait une compensation à cette noirceur, c’était de voir à la fin du récit le héros faire soudain ses débuts littéraires, j’y avais projeté mon propre désir quant à mon avenir ― voilà ce que, en un style ramassé, j’avais écrit dans le bulletin.

Les Morosités d’un hérétique évoquent pour moi les deux saisons de l’été et de l’hiver : le soleil brûlant de l’été sous lequel je grillais nu au bord de la mer ou encore dans le jardin en le lisant pour la première fois, et le spectacle, le dernier jour de l’année, de la rue commerçante peu fréquentée et tellement plus sombre que d’habitude, renvoyant au moment où je le lisais pour la deuxième ou troisième fois.

En le lisant derechef cette fois-ci, j’ai de nouveau éprouvé de l’intérêt pour ce court roman. Certes, je n’avais pas mené ma vie en m’endettant auprès de mes amis comme Shōzaburō, mais comme la raison en était seulement que, selon l’image que je me faisais alors de moi-même, je n’avais pas eu le cran d’emprunter un tel argent et encore moins de ne pas le rendre, j’étais parvenu au prix de quelques détours mentaux à me projeter sur les sentiments d’incapacité sinon d’impuissance qu’éprouvait le héros. 

À vrai dire, il n’est point besoin qu’il y ait la moindre ressemblance avec ce dernier pour qu’un lecteur s’identifie à lui ou s’investisse dans l’œuvre, et sans doute même pouvait-on dire que je ne présentais aucune similitude ; il n’empêche que l’état d’esprit qui était alors le mien suffisait à me projeter sur lui.

Encore un point : il n’est indiqué nulle part dans le texte que Shōzaburō était en train d’écrire un roman ou qu’il s’y essayait sans y arriver. Comme je n’avais pas alors achevé d’écrire la moindre chose, cette fin, qui suggérait que les débuts littéraires vous tombaient tout cuit du ciel sans autre préambule, même quand on passait son temps à sortir et à boire comme c’était le cas pour Shōzaburō ― voire quand, comme moi, n’en ayant pas les moyens, on restait le plus souvent à domicile ―, cette fin donc ne pouvait que me rendre plus optimiste.

Et pour revenir à la rédaction de cet essai pour le bulletin, j’avais ressenti comme une aubaine la venue de cette commande au moment précis où, grâce à mon passage la veille du nouvel an dans la rue commerçante sur le chemin qui mène de la gare de Kamakura au temple Hase, je m’étais revu, comme si j’y étais, suivre le même chemin en sens inverse le soir du nouvel an de ma cinquième année à l’université. C’était en effet une joie pour moi d’avoir pu me souvenir avec autant de réalité du jeune homme dans la vingtaine naissante qui, vu de mes soixante ans, se demandait à tout bout de champ ce qu’il pouvait y avoir en lui avant de sentir qu’il n’y avait rien, sans la moindre perspective d’avenir. J’avais par ailleurs, deux semaines auparavant, assisté à une cérémonie en mémoire d’un camarade des tournages auxquels j’avais participé (à vrai dire, seulement de l’extérieur) les premières années de ma vingtaine, cérémonie au cours de laquelle je m’étais soudain senti comme enveloppé par une joie irrépressible.

Freud s’interroge quelque part sur les rêves que beaucoup font répétitivement à l’âge mûr (ou peut-être était-ce à l’âge de la vieillesse) et dans lesquels ils retournent au temps où, jeunes et pauvres, leur avenir était encore incertain avant de, ne sachant plus comment s’en sortir, se réveiller en nage. Comment faut-il interpréter ces rêves quand on part de l’hypothèse que la formation des rêves répond au besoin de satisfaire un désir ? Sa réponse était, je crois, que le rêveur se satisfait de penser : j’ai eu un passé difficile mais ce n’est plus maintenant le cas, je cède certes du point de vue de la santé et surtout de la jeunesse par rapport à qui j’étais alors, mais je peux tout au moins me prévaloir d’avoir longtemps vécu. Peut-être que je garde un souvenir totalement erroné de l’interprétation de ces rêves par Freud, mais je crois me rappeler tout au moins de cette explication selon laquelle le rêveur se prévaut sur le jeune qu’il a été d’avoir au moins pu vivre longtemps, explication dont le caractère inattendu m’était apparu conforme à la conception freudienne qui place l’envie et le complexe au cœur des relations humaines ― à vrai dire, même ce souvenir devient douteux à mesure que j’écris, mais toujours est-il que, pour moi qui ne suis pas Freud, il y avait de la joie ne serait-ce que de pouvoir constater qu’il m’était arrivé d’être jeune.

Un ami avec qui j’entretenais encore une relation disons régulière m’avait envoyé un mail qui était l’annonce, plutôt qu’un faire-part, qu’allait se tenir une cérémonie d’adieu à la mémoire de cet ancien camarade. Ce dernier s’appelait Ozaki, il était mort fin octobre et le message m’était parvenu fin novembre ou début décembre. En 1987, soit sept ans après mon entrée dans la vie professionnelle, je l’avais croisé à plusieurs reprises près de la gare de Daitabashi sur la ligne Keiō, aux environs de laquelle je venais de déménager. Nous avions chaque fois eu un brin de conversation et nous avions échangé nos cartes de visite. Comme nous étions tous les deux bien plus souvent à l’extérieur qu’à la maison, nous nous étions dispensés d’y noter nos numéros de téléphone, à l’époque personne ne le faisait. Si je lui avais proposé de nous revoir plus longuement ou d’aller boire quelque part dans le coin, ce n’était pas par pure convention : nous n’étions certes pas intimes au point de nous voir seuls tous les deux, mais j’avais de la sympathie pour Ozaki et tout laissait croire que la réciproque était vraie. 

Ozaki avait été le chef d’un clan de bōsōzoku[2] de Yokosuka. À l’automne 1980, Nagasaki, mon ami depuis le temps du collège, devait tourner un film de 35 millimètres pour les studios ATG. Son film portait sur les bōsōzoku et il avait besoin d’en mettre en scène de vrais. Je ne sais pas si on appelle cela aussi des figurants, en tout cas il lui en fallait non pour les gros plans mais pour les arrière-plans où on les voyait rouler en bande plein phare. Ozaki lui avait été présenté comme quelqu’un qui pouvait arranger la chose. Sur les quais Daikoku de Yokohama, ils s’étaient rassemblés avec une vingtaine ou une trentaine de motos et de voitures et Ozaki, perché à l’arrière d’un camion, donnait par mégaphone des instructions sur le tournage qui allait commencer, la distance qu’ils devaient garder pour rouler quand le camion se mettrait à bouger.

Le ton d’Ozaki était clairement celui de quelqu’un qui avait de l’ascendant sur les membres du clan rassemblés là, mais les joyeux drilles ne l’écoutaient nullement, faisaient vrombir sans interruption leurs moteurs et ceux qui étaient derrière partaient dans toutes les directions à leur guise. Ozaki avait beau s’égosiller : « Eh, vous là-bas, écoutez ce que je vous dis ! », ils semblaient décidément incapables de bouger comme on le leur demandait et, au bout d’un moment, retentissait au loin un crissement suivi du bruit d’une moto qui se renverse :

« Y’a X qui s’est ramassé ! »

Et tout ce beau monde de se précipiter vers l’endroit où l’engin avait dérapé. On s’imagine souvent que les bōsōzoku se distinguent par le port impeccable du blouson de cuir noir, mais ce n’est pas vrai : sans doute était-ce aussi parce qu’il faisait froid en cette nuit de fin octobre, la plupart étaient engoncés dans de gros vestons de travail brun ou kaki et les quelques-uns pour qui ce n’était pas le cas affublés de longs par-dessus semblables à des nagaran[3].

Le tournage devait démarrer dès qu’il ferait nuit, à huit ou sept heures, je ne sais plus. Ozaki avait ordonné au clan dont il était jadis le chef et qui devait de Yokosuka se rendre à Yokohama de rouler séparément, parce que, sinon, ils risquaient de se faire attraper pour infraction au code de la route en application de la nouvelle réglementation récemment adoptée contre les bandes motorisées appelée contrôle des excès de vitesse en groupe ou je ne sais plus comment. Mais, comme ils risquaient alors d’être interceptés par d’autres clans, ils avaient quand même roulé ensemble et, résultat, s’étaient fait pincer par la police.

Se demandant ce qu’ils pouvaient bien fabriquer alors qu’ils devaient être déjà là, Ozaki avait appelé un membre resté sur place qui lui avait répondu qu’ils étaient tous partis depuis belle lurette. Bon, ils se seront fait choper par les flics, tant pis, envoie-moi les suivants, avait-il alors dit, mais il avait eu beau attendre, ceux-là n’arrivaient pas non plus, semblant s’être fait coincer à leur tour. C’est seulement vers minuit qu’enfin la troisième expédition, à qui il avait enjoint de venir cette fois sans faute chacun isolément, gagnait les quais Daikoku de Yokohama – sans doute était-ce parce que ce n’étaient pas ceux qu’Ozaki avait choisis au départ qu’ils payaient aussi peu de mine.

Je contemplais ce spectacle en qualité de l’un des acteurs jouant les bōsōzoku. Il est toujours aussi comique à mes yeux, autant de fois que je me le remémore.

« Hep, Koizumi ! Koizumi ! »

C’était l’équipier du clan qu’Ozaki appelait le plus souvent ; alors que ce patronyme se prononce ordinairement sans que l’on sache très bien sur quelle syllabe porte l’accent, chez lui il se situait clairement sur la première syllabe comme dans aisatsu (salut), nekutai (cravate) ou nēshon (nation), et j’y avais perçu comme une couleur locale de Yokosuka, mais peut-être n’était-ce qu’un travers propre à Ozaki.

« Koizumi, à compter d’aujourd’hui j’utilise X. »

Quand l’actrice Koizumi Kyōko dans un clip publicitaire pour un cosmétique fait suivre son patronyme du seul« kyō » de son prénom pour lui faire signifier « aujourd’hui », l’accent de « Koizumi » ne portait-il pas sur la première syllabe même si ce n’était pas aussi flagrant que chez Ozaki ? Koizumi Kyōko est originaire d’Atsugi, mais alors qu’en est-il pour l’ancien premier ministre Koizumi Jun.ichirō qui, lui, est pour le coup bel et bien de Yokosuka ? Aucun souvenir.

Ozaki était un joli garçon au visage long et à la peau claire, toujours impeccablement coiffé ― comme le vestige d’une banane, mais peut-être était-ce effectivement une coiffure en banane ou en minivague. Il avait l’air mauvais garçon, un air mauvais garçon qui devait plaire aux filles. Le tracé des paupières un peu alangui, ses yeux se faisaient soudain doux quand il souriait. J’avais toujours eu tendance à m’enticher aussitôt des types à l’air mauvais garçon qui devait plaire aux filles, et mon faible depuis mon enfance pour ces beaux aînés s’était incrusté en avançant en âge.

Après avoir reçu le mail qui tenait lieu de faire-part et me conviait à la cérémonie d’adieu en sa mémoire et jusqu’au jour où avait eu lieu cette rencontre, je m’étais à maintes reprises rappelé pour m’y plonger les souvenirs pas très nombreux qui se rattachaient à lui : quand je me souvenais de sa figure, elle se superposait à la célèbre photo du Camus de l’Étranger, la cigarette aux lèvres et le col du manteau redressé. Plus je repensais à lui, plus me devenaient précieux et réjouissants ces moments où j’étais tombé par hasard sur lui et avais eu un brin de conversation ; je m’en régalais indéfiniment en me repassant les mêmes brèves séquences. Sept ans après mon entrée dans la vie professionnelle, j’avais passé les trente ans avant lesquels au moins j’aurais voulu parvenir à faire quelque chose. Ozaki, lui, d’après sa carte de visite, appartenait au service véhicules d’une maison de production de cinéma, et il avait été plaisant d’apprendre que cet ancien bōsōzoku travaillait dans la foulée de son passé au transport des acteurs, des équipes et du matériel par microbus et gros breaks.

Nous nous retrouvions deux ou trois fois par an pour boire avec Nagasaki et quelques autres de l’équipe de cinéma. Je ne crois pas qu’Ozaki en ait été, mais peut-être que si, difficile de penser qu’il n’ait jamais été là, en tout cas je ne me rappelle pas lui avoir parlé. La dernière fois que j’avais eu des échanges avec lui, c’était donc en 1987 aux alentours de cette gare de Daitabashi ; le souvenir que j’en gardais n’en était cependant pas moins vif. La rencontre en sa mémoire avait eu lieu dans les studios de tournage Nikkatsu à Chōfu. Comme j’habitais sur la ligne Odakyū, j’y étais allé en taxi depuis Komae ; si j’en avais eu le temps, j’aurais préféré m’y rendre en longeant la berge de la Tamagawa sous le beau ciel d’hiver. Dans le compartiment du train aller de la ligne Odakyū, une femme interrogeait son compagnon sur la différence entre Tōkyō, Chiba et Kanagawa. Ils devaient avoir tous les deux un peu plus de vingt-cinq ans. L’homme assurait que dans le Kantō c’était Tōkyō qui venait en tête et de loin, que l’on ne songeait même pas ici à faire la comparaison avec Chiba, Chiba où il n’y avait tout au plus que Disneyland.

« Ufufufu », faisait-elle.

D’une voix légèrement haut perchée et mielleuse, elle acquiesçait aux propos insipides de son compagnon par un rire qu’on aurait cru écrit u.fu.fu.fu en toutes lettres ― un rire, en principe, que ce soit un « Ah, ha, ha ! » ou un « Hi, hi ! », n’est jamais prononcé exactement comme on le transcrit, il est plus proche d’un cri d’animal. Alors qu’une femme flattait avec le même genre d’ostentation son homme, Ozaki lui avait jeté un bref regard en grimaçant un sourire sur son doux visage aux yeux alanguis et l’avait fait se taire.

« Ça me donne envie de coller une claque quand je vois ce genre de nana. » Il ne me l’avait pas effectivement dit, mais fait entendre par l’expression de son visage. Je ne pouvais m’empêcher de me sentir ragaillardi en compagnie d’un garçon fort à la bagarre comme lui ― je ne sais pas si Ozaki l’était vraiment, mais comment un type qui donnait d’un ton supérieur des instructions à une horde de bōsōzoku aurait-il pu ne pas l’être ?

Tandis que je me rappelais ces choses dans le train à l’aller de la ligne Odakyū, le souvenir d’Ozaki s’était fait de plus en plus net et je commençais à me sentir uki.uki (tout guilleret) comme si j’allais maintenant le rencontrer. « Dis donc, toi, m’avait fait remarquer une fois Ozaki, t’emploies souvent les onomatopées qui se répètent comme uki.uki, hara.hara (anxieux), nuru.nuru (poisseux) ou mera.mera (enflammé). »

Un accident s’était produit pendant le tournage du film de Nagasaki pour les studios ATG, non pas lors de cette nuit où avaient été rassemblés les vrais bōsōzoku, mais plus tard : plusieurs motos s’étaient télescopées alors que je jouais le rôle d’un de ses conducteurs. M’étant cassé un bras et heurté violemment la tête, j’avais été admis dans un hôpital à Kamakura à cinq minutes de chez moi. Sans doute était-ce parce qu’il y avait peu de patients, j’y étais resté plus d’un mois, mais j’avais eu encore de la peine à marcher en le quittant, car mon genou aussi avait souffert d’une contusion pas loin de la fracture. Comme le bras cassé m’empêchait d’utiliser la main droite, je m’étais résolu à écrire de la main gauche dès que la douleur serait passée, mais celle-ci avec laquelle j’écrivais pour la première fois ne m’obéissait guère ; en plus, la droite se trouvant emplâtrée, il n’y avait pas moyen avec elle de stabiliser adéquatement le cahier, ce qui rendait l’exercice encore plus périlleux. Je n’y arrivais pas du tout et, comme je n’y arrivais pas, je ne voyais plus du tout quoi écrire. Je désirais écrire, mais rien ne me venait à l’esprit, de sorte qu’au début je me contentais de tracer en gros caractères le syllabaire :

A.I.U.E.O  KA.KI.KU.KE.KO  SA.SHI.SU.SE.SO

Quand, au bout d’un certain temps, j’étais parvenu à un peu mieux me débrouiller, je réussissais à noter ce qui me passait par la tête, rien de plus, comme par exemple : le parfum de l’infirmière empeste, ou encore : l’infirmière a un petit air de voyoute qui me plaît, et ainsi de suite. J’arrivais enfin à transcrire de la sorte les pensées qui me traversaient l’esprit quand était apparu Ozaki : « Super, t’écris de la main gauche. Un roman ? Montre-moi voir un peu… » Il m’avait arraché le cahier avant d’avoir terminé sa phrase et, en le feuilletant : « le parfum de l’infirmière empeste », avait-il lu à haute voix avant d’éclater de rire. Comme, désœuvré que j’étais, je n’arrivais pas à dormir la nuit, j’étais passé en chambre individuelle. Dans ma tête, les Morosités d’un hérétique se surimpriment sur Ozaki riant à la lecture de mon cahier : c’était en effet un peu comme si j’étais à l’intérieur de ce récit pendant cette hospitalisation.

Il y avait parmi les romans que j’avais écrits un court texte dont le titre : La Sculpture de glace sous l’équateur faisait écho, comme on peut le deviner, au Football de l’an un sous l’ère Man-en[4] : un artisan est engagé pour une manifestation organisée par un hôtel, il ne tient pas compte de l’horaire et sculpte prématurément la glace qui fond aussitôt sous l’éclairage pour ne plus laisser qu’une flaque d’eau informe au moment où les gens se rassemblent. Ou encore, mon préféré : Les Bâtons déodorants de l’empereur, tellement futile que quelques-uns de mes amis s’en souviennent encore. Je ne l’avais pas pour autant montré à Ozaki ; d’ailleurs, savait-il seulement que je voulais devenir romancier ?

Vouloir devenir romancier, à cette époque, je le déclarais sans gêne, jovialement, avec la même désinvolture que les enfants qui disent : « Je serais la belle mariée quand je serai grande », ou encore : « Je serai pompier quand je serai grand ». Des connaissances du temps des grands magasins Seibu disent ou écrivent parfois à mon sujet :

« Il voulait devenir romancier depuis qu’il était jeune. »

Mais ce n’est pas exact, car il y a une distance temporelle et mentale qui sépare le temps où on pouvait déclarer : « Quand je serai grand, je serai pompier » de celui où on ne va plus le faire au tout venant. À l’époque où je travaillais au centre culturel de Seibu, je ne disais rien de pareil aux gens qui m’entouraient. Une fois qu’on a fait ses débuts ou obtenu des prix littéraires, ces personnes viennent vous demander : « Vous comptiez devenir écrivain dès cette époque ? 

― Oui, si on veut. » 

En obtenant cette réponse, elles se mettent à raconter que le jeune homme de vingt-cinq ans que j’étais était désireux de devenir romancier et que ce jeune homme le leur avait confié. Or, se seraient-elles seulement souvenues qu’à cette époque celui-ci était réfractaire à la littérature japonaise et s’en moquait même, les personnes qui tiennent ce genre de raisonnement n’auraient pu avoir songé qu’il voulait devenir écrivain ― mais ce n’est pas, au départ, en se souvenant de quelque chose qu’elles témoignent ou écrivent sur cette période, c’est parce qu’elles ne s’en souviennent pas qu’elles peuvent le faire.

[À suivre…]

[1] Titre de la première traduction française : Quatre Sœurs.

[2] Bande motorisée de jeunes voyous se livrant à des virées nocturnes à grande vitesse.

[3] Vestes qui tombent jusqu’aux pieds chez les supporters des équipes de baseball scolaires.

[4] Roman d’Ōe Kenzaburō traduit en français sous le titre : Le Jeu du siècle.


Hosaka Kazushi, Koko to yoso, Shinchōsha, 2018
Traduction Jacques Lévy

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