Faux miroir

Le sol était gris. En plastique sans doute, froid. Le ruban jaune indiquait la limite au-delà de laquelle il fallait se déchausser. Des sacs plastique empilés pour emporter ses chaussures. Pas de dénivellement à l’entrée – visiblement, le local n’avait pas été conçu pour l’habitation. On tournait à droite. Deux mètres plus loin pendait une étoffe noire. À droite encore, c’était la réception : un faux miroir sous lequel il y avait une fente. Jusque-là, tout est clair. Au-dessous encore, mais là mon souvenir se fait plus vague, un récipient en verre où étaient éclairés par la blancheur d’une lampe fluorescente des lotions et aussi, je crois bien, des slips de natation. La lumière confinée en ce seul endroit avait quelque chose de lugubre.

Le lieu occupait le rez-de-chaussée d’un vieil immeuble de bureaux et les fenêtres en étaient bouchées de l’intérieur par des bandes noires. Le jour, pris pour quelque officine de yakuzas, il ne devait pas manquer d’inspirer méfiance.

On passait sous l’étoffe après la réception et le couloir se prolongeait vers le fond des ténèbres, sans qu’on en devine le bout. Il y avait un mur à gauche. D’où apparaissaient de loin en loin des poignées. Une musique de fond en sourdine, de la house music comme dans la plupart des lieux de drague, mais davantage que celle-ci, c’était le ronflement incessant de l’aération qui se faisait perceptible. Et tout de suite à droite, s’échappaient les rayons violets d’une lumière noire. C’était le vestiaire, étrangement spacieux comparé à ceux des autres établissements de ce genre. Il était désert. De cela, je me souviens. Les pieds nus, la froideur du sol devenait pénétrante. La plante s’y collait. Il s’y trouvait un miroir, haut et étroit, dans lequel je voyais mon corps entier coloré par la luminescence violette.

Mais je n’arrive plus à me souvenir du nom de ce lieu de drague. Je ne parviens plus non plus à savoir quand ce nom a bien pu s’éloigner de ma conscience.

Quand et pourquoi me suis-je mis à fréquenter cet endroit ? Ce qui est sûr, c’est qu’il se trouvait à Higashi-Nakano. La grande avenue qui s’offrait à la vue en sortant de la gare, c’était la Yamate-dōri. Puis un haut immeuble étroit où il y avait un McDonald. On suivait la rue qui le longeait sur le côté et on débouchait sur ce vieil immeuble de bureaux. J’aimerais me rappeler le nom de cet endroit. J’en ai terriblement envie, mais pas moyen d’en trouver le moindre indice dans mon souvenir. Certes, je n’y ai pas éprouvé de plaisirs spécialement « forts », me semble-t-il, mais je n’arrive pas même à me remémorer un seul des visages de ceux que j’y avais rencontrés.

C’était après avoir déjà expérimenté quelques endroits que je m’y étais rendu – après la fermeture du premier lieu de drague dont j’étais devenu un familier, à Yoyogi.

En cette fin des années 90, P de Yoyogi était certainement le video box le plus célèbre de Tokyo. Il regorgeait tous les soirs de jeunes gens à la mode. La partie intérieure en était occupée par une « île » formée d’une dizaine de box fermant à clé, le couloir encerclant celle-ci menant, sur sa partie extérieure, à d’autres chambrettes encore.

Sur l’écran de la télévision installée dans chaque box passaient des vidéos gays, mais ce n’était évidemment pas le but. Un petit trou dans le mur à la hauteur des hanches des deux côtés permettait de savoir tant bien que mal ce qui se passait à côté. Les hommes qui entraient et sortaient envoyaient un signal par ces trous afin de se rejoindre dehors puis entrer à deux dans l’une des pièces, ou bien, quand l’invite se concluait dès le couloir, partaient trouver une pièce libre où s’enfermer. Quand un couple se formait dans l’espace voisin, le trou était bouché à l’aide d’un mouchoir papier mis en boule.

Une année était alors bien passée depuis que je m’étais installé dans la capitale pour la poursuite de mes études à l’université. J’avais été ébahi, la première fois où j’avais mis les pieds à l’intérieur de P, par tous ces graciles jeunes hommes de mon âge qui s’agglutinaient dans le couloir.

Dans ces pâles ténèbres bleutées, ils m’avaient paru tous, tous sans exception, merveilleusement beaux. C’était une illusion bien sûr, mais elle n’avait pas empêché mon cœur de s’emballer à la vue du si grand nombre de jeunes hommes réunis là dans le seul but d’avoir du sexe avec un autre homme, et dès lors n’importe qui me convenait. Qui que ce fût, pour moi à ce moment-là, il ne pouvait être que beau.

Un parfum légèrement douceâtre emplissait l’espace : un mélange des fragrances d’agrumes alors en vogue et de cette imperceptible odeur propre aux corps des jeunes hommes, comme quand on rompt du pain. L’un tirait par la main un autre pour se glisser dans une chambrette – comme pour l’emporter vers la source de toutes ces douces senteurs.

J’avais petit à petit appris ce qu’il me fallait faire.

S’approcher discrètement de sa cible, se placer à côté en feignant l’indifférence et, au moment voulu, se résoudre hardiment et sans retour à porter la main sur sa cuisse. Si ça ne marche pas, l’autre s’éloignera sans faire de bruit. On ne recourt pas à la parole. On ne doit pas le faire.

L’homme à la longue chevelure et à la peau hâlée qui s’appuyait au comptoir où se trouvaient les cendriers avait, croyais-je, jeté un regard sur moi. Un regard arrogant. Lequel regard s’était aussitôt détourné de moi pour se transformer en sourire à l’adresse de l’homme qui se tenait dans son voisinage, d’allure semblable à la sienne.

Je comprenais qu’ils n’étaient pas pour moi.

Plus de vingt années ont filé depuis. Où sont-ils maintenant les beaux garçons qui se rassemblaient dans la nuit de Yoyogi ?

Je remarque un objet blanc en forme de globe au bout de la rangée innombrable de bouteilles vertes. La chose circulaire que je distingue alors sur sa surface se révèle être… un objectif.

« C’est une caméra de surveillance, ça ? »

Je m’adresse à Hiko-hiko-san qui est en train d’essuyer les verres.

« Eh oui.

― Et depuis quand ? On est filmés ? »

Hiko-hiko-san fait « mouais » en arrondissant comme un poisson ses lèvres cerclées de barbe.

Un globe pareil à l’œil énucléé d’un thon. Il n’y était pas avant. C’est quand même un peu fort de vouloir garder trace des nuits d’un bar gay. C’est censé être un endroit secret ici, non ?

« Désolé, mais c’est là depuis six mois. À cause des histoires qu’il pourrait y avoir entre les clients. La police est venue et m’a demandé de l’installer. En fait, c’est plutôt pour se protéger des yakuzas.

― J’aime pas ça, moi.

― Oui, il y a des clients qui disent ça. Mais ça me permet de savoir ce qui se passe de chez moi. L’autre fois, la boutique fermée et alors qu’il devait faire tout noir, j’ai vu voltiger des machins tout blancs.

― Quelle horreur, c’est des cafards, ça. Elles volent, ces bestioles-là. »

C’est le jeune serveur qui est intervenu. Il fume fébrilement une cigarette, fine comme une paille.

« Mais non, des fantômes, je te dis. Il en grouille par ici.

― C’est plutôt nous les fantômes, non ? Les cafards ont rappliqué parce que les fantômes se sont tirés. »

Sur cette boutade, le serveur reverse du shōchū dans mon verre, y ajoute le thé froid au jasmin directement de sa bouteille en plastique et remue le tout à l’aide d’un bâtonnet bleu translucide.

Cela fait déjà dix ans que j’ai quitté Tokyo. Il m’arrive de me rendre à Shinjuku-nichōme à l’occasion de mes quelques déplacements professionnels au cours de l’année. La plupart du temps, je termine la soirée dans le bar de Hiko-hiko-san. Lui aussi a dû prendre de la bouteille, mais son physique, déjà trapu au départ, ne me semble pas avoir tellement changé. Bien qu’il ait certainement été en vérité bien plus mince autrefois, cette réalité s’est depuis je ne sais quand complètement évanouie en moi.

« Vous en avez pris de l’allure, dites, vous aussi. Alors qu’autrefois, vous aviez l’air d’un host. »

À cette remarque, j’ôte à dessein mes lunettes et replie oisivement la serviette pour s’essuyer les mains – m’imaginant que, sans les lunettes, je ne suis pas si différent de qui j’avais été autrefois.

« Un host ! Vous en avez gardé quelque chose. »

C’était la voix enjouée de l’homme en costume assis sur un siège voisin. Il n’est pas du tout de mon goût. Toutefois, pour être jeune, il est jeune, la peau du visage toute lisse. En portant le regard sur le menton pointu de celui qui n’est décidément pas mon type, je glisse la main sur ma gorge empâtée.

À P de Yoyogi, les plus frimeurs appartenaient à la catégorie de ceux qu’on appelait à l’époque les surfeurs, avant qu’on ne les désigne, quelques années plus tard, par le terme de gal-o, la version masculine du style gal. Je n’avais pas encore eu le courage de suivre ces modes dans les premiers temps où je fréquentais l’endroit, mais, dès qu’il m’était devenu évident que c’était dans le but de plaire, je m’étais mis à changer de vêtement et aussi à me parfumer.

Le hâle, c’était plus délicat. Si je me faisais brunir hors saison dans un salon, l’éclosion de mes intentions sexuelles n’allait plus faire mystère auprès de ma famille et de mes amis. Ce qui revenait pour ainsi dire à me masturber en public, mais, je ne sais comment, cela aussi à un moment m’était devenu égal. Sans doute m’étais-je fait bronzer une fois pour voir et avais-je continué à le faire par addiction. Avec les appareils de bronzage, si on ne commence pas par ceux de faible intensité, on risque de se retrouver cramoisi, aussi le hâle au début restait-il discret. On vous recommande de revenir au bout de quelques jours et on se redore par intermittence. Une fois que s’est enclenché ce cycle qui consiste à observer un temps de repos après chaque séance afin de cumuler les fines couches de vernis brun, on finit dans la lancée par se transfigurer en ce mauvais démon qu’on était censé à tout prix ne pas devenir.

La scène, probablement, se déroulait après avoir pris l’habitude de me faire bronzer : nous nous caressions tous les deux debout dans la petite pièce d’angle, à droite au bout du couloir de P à Yoyogi.

Mon partenaire, qui tenait le rôle actif, retroussait d’abord ma parka pour me dévêtir à moitié et me lécher les tétins avant de se défaire de ses habits du haut qu’il jetait sur la télévision. À sa suite je me débarrassais de tout ce que je portais encore sur le torse et enfin commençait alors pour de bon ce moment spécial. Chacun baissait le pantalon de l’autre comme on le ferait lors d’un examen médical, puis, à tour de rôle, en tirant le slip vers le bas, suçait le pénis – quand l’autre sortait prestement quelque chose pour le placer sous son nez et l’aspirer bruyamment. Ah, voilà – à peine me l’étais-je dit que le flacon se dirigeait le plus naturellement du monde sous mon nez. Une violente odeur de peinture. Je déclinais illico l’offre en bouchant de la main le flacon.

Je ne sais plus combien de temps plus tard, dans un autre établissement du côté de la sortie ouest de Shinjuku, il m’était arrivé, aussitôt entré dans la pièce et la porte fermée à clef, de m’être fait baisser le pantalon et administrer une fellation particulièrement talentueuse. L’homme qui allait et venait de la tête avec vitesse, dans la foulée, avait appuyé le flacon contre mon nez et, n’en ayant plus cure, j’avais aspiré à fond.

Ma palpitation s’accélérait brusquement. Tout l’espace plongeait lourdement dans une piscine tiède et tous les sons de l’établissement s’éloignaient comme sous l’effet d’une sourdine. Un crissement aigu s’élevait en ligne droite au-dessus de la tête et, tandis que la pulsation résonnait pesamment dans les veines du cou, les deux corps se réduisaient à une machine à seulement frictionner et se faire frictionner.

Cet endroit aussi était de style video comme P de Yoyogi, et également prisé par les jeunes d’alors. Je crois que c’était à peu près à la même époque, j’en causais avec Hiko-hiko-san alors que je buvais dans son bar : « Il paraît qu’il y a une flambée de tuberculose là-bas », disait-il ou peut-être était-ce la syphilis, toujours est-il qu’il évoquait une rumeur dans ce goût. Je me souviens aussi de la façon dont il avait susurré : « Figurez-vous que je l’ai attrapée, moi, la syphilis », mais peut-être s’agissait-il d’une autre conversation. Quoi qu’il en soit, lorsque ces rumeurs de maladie avaient surgi, je ne m’estimais pas concerné car je ne me rendais plus dans cet établissement à Nishi-Shinjuku et étais même désormais incapable de le localiser.

« Dites, il y avait un lieu de drague je ne sais plus de quel côté de la gare Higashi-Nakano, non ? » questionné-je Hiko-hiko-san au sujet de l’autre endroit.

« Ah ! Attack, vous voulez dire ? Il a fermé, ce video.

― Ça, c’était à Nakano-Sakaue. Pas là, mais… » 

Je sens, à cet instant même, un léger courant d’air froid dans mon dos. Comprenant que la porte s’est ouverte, je me retourne.

« Oh ! », me lance-t-on, mais je ne sais comment réagir. Je tente de retrouver au plus vite le visage dans ma mémoire.

« Mais… ! Ça fait drôlement longtemps.

― … Yū, n’est-ce pas ?

― Mais oui. Combien d’années ça fait ? Un peu grossi ?

― Eh oui, reconnais-je avant d’ôter mes lunettes.

― L’autre aussi.

― Ha, ha ! s’esclaffe Hiko-hiko-san avant d’ajouter : la chérie est de nouveau de service, le samedi seulement. »

Yūto était l’un des serveurs quand j’avais commencé à fréquenter le bar. Quoique probablement d’un ou de deux ans mon cadet, il s’était, m’avait-il raconté, mis à fréquenter le quartier dès ses années au lycée, bien avant moi. À titre en quelque sorte d’aîné en la matière, il m’avait renseigné sur les divers autres bars et fait l’effet de quelqu’un de prévenant, mais nous n’étions pas devenus intimes au point de pouvoir être qualifiés d’amis. Notre relation se bornait au bavardage d’un côté à l’autre du comptoir.

En ce temps, le bar de Hiko-hiko-san était rempli de jeunes et fort animé. Vingt années étaient passées et les jeunes d’alors devenus des « messieurs ». C’était désormais un endroit pépère, fréquenté par de bons messieurs.

Cette fois, c’est Yū passé derrière le comptoir qui me ressert du shōchū. Je l’invite à boire lui aussi. Il se sert dans son propre verre et nous trinquons aux retrouvailles.

Il en a gardé quelque chose, me dis-je.

Son « quelque chose » est assurément encore bien là, dans toute sa vivacité. Seulement, il est maintenant enseveli sous un embonpoint endurci. Aussi ai-je scruté tout son corps comme pour extraire soigneusement le « quelque chose » d’un bloc de pierre. J’avais une fois baisé avec lui. Son corps était alors une sculpture parfaite, d’où affleurait une gracieuse musculature. Yū, avec le temps, chercherait-il à recouvrer l’état de marbre immaculé ? Et, un jour, à retourner dormir au tréfonds de la terre ?

Les joues sont bouffies et les pattes-d’oie qui se remarquaient déjà auparavant accusent maintenant son âge. Il a du ventre.

C’est lui. C’est au moment où, après avoir sucé les tétins, je laissais glisser mes lèvres vers le bas que je m’en étais aperçu. J’avais su que c’était le serveur du bar.

Le corps de Yū, alors effilé et pareil à une panthère, se déplaçait gracieusement au fond de l’obscurité et, subrepticement, j’avais caressé le boxer qui moulait ses petites fesses. Sans beaucoup hésiter. Ça va marcher, je le sens, m’étais-je persuadé. Des chiffres étaient imprimés en blanc sur la fesse, comme chez certains athlètes. La peau, très foncée par le bronzage, se confondait avec les ténèbres ambiantes. Seuls les chiffres s’y découpaient en scintillant comme une signalisation routière dans la nuit. 

Ce lieu de drague se trouvait à Kōenji. Après la fréquentation des box, après aussi la visite de la boîte de Higashi-Nakano, au milieu de la vingtaine, l’endroit était devenu mon nid.

Le visage m’avait paru charmant. Mais, même après avoir deviné que c’était lui, je le distinguais mal sous le faible éclairage. Sachant donc que c’était lui, j’essayais de recomposer les yeux, le nez et la bouche que j’avais en face de moi en conformité avec « ce » visage dans ma mémoire, mais ce souvenir lui-même me devenait incertain. J’étais censé le connaître, mais ce n’en était pas moins un partenaire que je rencontrais pour la première fois – une ambiguïté qui, elle-même, avait quelque chose de charmant.

Je me sentais d’humeur ce jour-là, chose rare, à faire l’actif, ou disons plutôt que la réaction à mes caresses m’y incitait et que je ne pouvais faire autrement.

À mesure qu’à tour de rôle nous nous embrassions en suçant avec force l’une des lèvres, de façon à la rouler dans la bouche comme un bonbon, s’imposait une asymétrie des forces. Une pesanteur propre à ce moment départageait les rôles actif et passif. Bien que généralement passif, maintenant que le rôle actif m’avait été dévolu, montait en moi une agressivité toute masculine pour ne pas dire mâle. La sensation d’en être investi plutôt que de m’y investir m’était à la fois comique et agréable. 

L’épaisseur du torse en face était à peu près égale à la mienne et nous étions de taille semblable, si bien que le tableau dans lequel nous nous léchions réciproquement la nuque devait apparaître comme les remous symétriques d’un corps et de son reflet dans un miroir. La senteur acidulée mêlée au sel de la transpiration donnait un goût de boisson sportive. Un spot se trouvait dans le coin de la pièce : sa lumière vive, rouge tomate, éclairait la surface supérieure de la musculature et plongeait dans ses sillons où elle s’assombrissait comme du sang caillé. Je plaquais alors ce corps contre le mur, en écartais les bras à la façon du Christ puis dirigeais les lèvres vers les cercles noirs des tétins d’où semblaient s’échapper des ténèbres, comme si les muscles de la poitrine avaient été perforés par des lances. 

Je passais d’abord gentiment la langue autour de la saillie que je prenais ensuite dans la bouche sur une large circonférence pour en mordiller le bout. Je faisais ce qui m’aurait été agréable que l’on me fasse. Il n’y avait que cela à faire. Tout son corps se convulsait chaque fois que je le mordais. Un soupçon d’affectation dans cette réaction – j’aurais, moi en tout cas, réagi de cette façon à sa place. Pensant ensuite que si je glissais les lèvres vers le ventre, cela allait le chatouiller, je l’avais fait et, je crois bien, c’était juste après que je m’étais aperçu que c’était le serveur du bar.

J’approche le visage de la tumescence qui se forme sur le slip boxer. À l’odeur de pisse qui monte, j’ai sur l’instant un mouvement de recul, mais je ravale aussitôt ma réticence et, ne m’en trouvant que plus excité, je plaque le nez, enveloppe la tumescence dans la bouche et, à travers l’étoffe, envoie un souffle chaud sur le sexe en guise de salut. Je porte alors les doigts sur les hanches, abaisse l’élastique et enfouis dans la bouche la tête du pénis élancé jusqu’à la hauteur du ventre.

C’est avec lui que je suis en train de baiser, me dis-je mais cela n’a guère d’incidence sur l‘excitation actuelle.

Je plaque les mains sur les fesses et les écarte en les massant pour diriger l’attention sur l’anus.

Ici, hein ?

Mais j’hésite à passer au sexe anal, que ce soit pour pénétrer ou me faire pénétrer. J’avais en tout cas sur moi la lotion portative que j’utilisais dans le deuxième cas de figure. A-t-il l’intention de se faire mettre ? En calquant sur moi-même les réactions de ce corps privé de parole, je réfléchis à ce que je ferais dans ce cas.

Ce lieu de drague de Kōenji était de ceux où l’on se dévêt entièrement, un nugikei.

Il était peu fréquent de passer au sexe anal dans les video, où l’on évoluait en restant habillé et agissait en ne se dénudant qu’à moitié. Si dans certains des nugikei, l’on se déshabillait complètement avant de se couvrir d’une serviette à la hauteur des hanches, dans d’autres, on gardait son sous-vêtement ou enfilait le slip de natation devenu, selon les jours de la semaine, la tenue exigée. Les nugikei me paraissaient franchement « craindre » et l’idée d’y aller tout simplement m’effrayait. De devoir me dénuder me gênait aussi, mais, plus encore, j’avais peur. Je ne parviens pas non plus à me souvenir quand m’est venu le courage de la surmonter, cette peur. Des années 90 au début des années 2000, c’était l’âge d’or des video, à commencer par P de Yoyogi. Il y avait aussi le fait que dans mon esprit, les video étaient réservés aux jeunes et les nugikei à la classe d’âge supérieure.

J’étais au départ un maigrichon aux côtes visibles, rien de bien montrable. Bien que détestant à l’extrême faire du sport depuis mon enfance, il m’avait fallu corriger ce travers pour étendre mon champ de drague auprès des hommes. La troisième année après avoir commencé à vivre seul, j’étais tombé sur un tract publicitaire annonçant l’ouverture d’un club de sport à proximité de mon domicile ; apprenant qu’il était également doté d’une piscine et de bains, je m’y étais aussitôt inscrit. Une jeune femme énergique à queue de cheval, de même âge que moi et étudiante d’une université d’éducation physique, m’avait soigneusement expliqué comment me servir des machines. Je m’étais mis à prendre des boissons protéinées et à manger plus, si bien que mon corps avait commencé à se voir gratifié de courbes un peu plus viriles.

En même temps que petit à petit mon intérêt pour le sexe anal se renforçait et que, balayant mes craintes ou plutôt m’apercevant que je pouvais les convertir en plaisirs, je me lançais dans les nugikei, les video perdaient du terrain pour faire place à des nugikei destinés aux jeunes comme si l’époque s’était débarrassée de toute peur et de toute gêne.

L’établissement de Higashi-Nakano en était un. C’était peut-être même le premier auquel je m’étais essayé. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle c’en était devenu un souvenir spécial, une expérience forte au point d’en oublier le nom.

Néanmoins, j’évitais les endroits vraiment « chauds ».

Était-ce à Shin-Ōkubo, soudain piqué par la curiosité de visiter l’un d’eux, je m’étais rendu dans l’appartement d’un immeuble, sans enseigne ni rien. Il n’y avait pas de plan précisant le chemin, dans la revue gay où figurait l’annonce. Seul le numéro de téléphone y était indiqué. Je l’avais composé sur mon portable en prenant soin de désafficher le mien et m’avait alors répondu la voix basse d’un homme qui m’expliquait avec une aménité inattendue la façon de m’y rendre. Après avoir pris un ascenseur de modèle ancien où saillaient des touches en plastique, je vérifiais à plusieurs reprises le numéro inscrit sur une porte roussâtre mais je n’en étais plus sûr. Or il me fallait me cacher au plus vite car des habitants de l’immeuble menaçaient à tout moment de surgir et de me remarquer. Ça ne peut être qu’ici, m’étais-je convaincu et ma main s’était portée sur la poignée de la porte, laquelle s’était ouverte avec une facilité déconcertante.

L’entrée était étroite. Avec, en face, un faux miroir et une fente. Comme dans tous les lieux de drague. S’y réfléchissait mon expression atone. Comme si la confiance en soi que je cherchais à feindre et la peur que je voulais cacher s’effaçaient l’une dans l’autre sur mon visage. Et de l’autre côté de mon image, j’étais surveillé et jaugé. Tandis que moi, je ne voyais que moi et mon angoisse.

« J’ai appelé tout à l’heure. »

C’était ainsi que je m’étais signalé, en me penchant légèrement vers la fente, quand la cloison s’était entrouverte en ma direction. En était sorti, torse nu, un vieux grassouillet au crâne rasé et aux bras tatoués qui m’avait tendu un carton et expliqué à toute vitesse que, la maison étant réservée à ses membres, il me fallait y inscrire ma taille, mon poids, mon âge et aussi, comme il me plairait, mon nom. L’espace où il officiait, entrevu derrière la cloison, était fort exigu : un cocon au sol recouvert d’épais futons, dans lequel la lumière blafarde d’un téléviseur à cristaux liquides éclairait un minuscule ventilateur.

J’hésite un peu quant au faux nom à donner puis indique avec un léger écart ma taille et mon poids. Le carton est alors plastifié et ma carte de membre prête. Là-dessus, je me déchausse et entre dans le vestiaire qui se trouve tout de suite là. Un homme de haute taille et au corps rugueux est en train de se rhabiller. Au fond à gauche se trouve une ouverture voilée par un rideau beige, d’où s’élèvent d’indistincts halètements et rugissements. Ça partouze, deviné-je pour aussitôt me dire : Va savoir jusqu’où ça va aller.

On est censé s’envelopper les hanches d’une fine serviette de couleur orange. Trouvant trop fastidieux de devoir, faute de longueur, la tenir par les deux bouts, je me retrouve entièrement nu. Je respire profondément, franchis le rideau, m’arrête dans les ténèbres où plus rien n’est visible et, en m’efforçant d’y accoutumer la vue, commence à en tracer le plan. Jappements des hommes comme s’ils cherchaient à transformer la rage en plaisir. Y aurait-il une pièce de chaque côté ? Au fond, c’est le back room, l’espace de partouze – l’entrée en est cloisonnée par une étoffe semblable à un noren, sous laquelle on distingue, bleuâtres, les jambes. N’y aurait donc que deux petites pièces ? Il semble que ce soit tout ici, on a affaire à un espace réduit. Pas étonnant dans ces conditions que ça partouze.

Je vois de mieux en mieux. Les jambes sont nombreuses. Telles des pattes de bétail.

Je devine que l’un d’eux est pris par derrière. J’avance de quelques pas. Ils sont plusieurs. Je regarde l’intérieur en écartant de la main l’étoffe, sans entrer. Un type plaqué sur ses quatre pattes se fait mettre, un autre tripote par derrière les tétins de celui qui pénètre. Je n’arrive pas à décompter ceux qui se tiennent dans la galerie.

Vais-je m’y mêler ? Je m’interroge pour savoir si, au cas où je me joindrai au combat en me défaisant de toute réserve, je serai capable de me cantonner dans les limites du safer sex. Je tiens la capote serrée dans ma main. Une seule n’y suffira certainement pas.

J’essaye de me convaincre qu’il ne s’agit là que de « tourisme » – de me contenter d’aspirer durant un moment ces ténèbres. Et de m’en extraire au plus vite.

En prenant soin de ne bousculer personne, j’avance doucement jusque devant la tête de celui qui se fait prendre pour en observer le spectacle. Quand, bientôt, une froideur effleure mon cul. C’est une main qui provient de la galerie. Quelque chose de « froid » s’écoule. Une matière désagréable se répand inexorablement sur la fesse en direction de l’anus.

Est-on en train de m’appliquer quelque chose de « froid » ?

En me cabrant, je m’arrache de ces ténèbres et, de retour au vestiaire, passe la main sur la fesse : une matière visqueuse y est collée. S’en étire un fil quand j’inspecte les doigts. Ce n’est pas du sperme. Une lotion plutôt. Le sperme ne s’effile pas. Les sécrétions précédant l’orgasme oui, à la rigueur, mais elles ne peuvent pas être aussi abondantes. L’anus ne doit pas avoir été atteint. Mais, pris d’effroi à l’idée de pouvoir être contaminé rien qu’avec ça, je me précipite dans les toilettes juste à côté, m’essuie avec le papier, me savonne à plusieurs reprises les mains et quitte les lieux en me rhabillant à toute vitesse.

Yū, qui m’a sucé à son tour, s’est prestement retourné en portant les mains contre le mur. Aussi versé-je abondamment sur l’index la lotion que je réserve d’accoutumée à mon rectum avant de l’introduire précautionneusement dans le cul tourné vers moi. Il y a encore de la marge : j’y ajoute le majeur. Et pourquoi pas l’annulaire.

« Ça passe facile, dis. »

À cette adresse, il réplique avec fraicheur : « J’suis un pro. » Le visage en train de prononcer ces mots ne m’est pas visible. Pris ainsi par derrière, le partenaire n’est, pour moitié, personne. Je bande en percevant quelque chose de viril dans le triangle ayant pour sommet les omoplates.

À présent, « ce » sourire de Yū est bien loin et il n’y a plus à la place qu’une masse de chair rougeoyante. Je regarde sa nuque. Les cheveux soigneusement décolorés, cette partie du corps brille d’un rouge plus éblouissant encore. Je le pénètre lentement en plaçant les mains sur ses hanches. Puis, agitant le nez sur la nuque, mordille le flanc du cou.

Une fois cette séance terminée, je vérifie son visage dans le fumoir bien éclairé situé à proximité du vestiaire. C’est bel et bien le Yūto que je connais, mais il n’était pas aussi bronzé avant. Lui ne se souvient pas de mon nom. Ce qui ne l’empêche pas de se réjouir de nos retrouvailles : Comme ça fait plaisir ! C’est bien « ce » Yū, chez qui se formaient de petites rides à l’angle des yeux quand il souriait, mais il n’y a pas moyen de savoir s’il se souvient vraiment de moi. Ce n’est au reste pas nécessaire. Vu que moi aussi je suis bien plus foncé qu’avant et que ma coiffure aussi a changé, rien ne garantit que mon image actuelle coïncide avec qui j’étais alors. Sans compter que mon corps s’est depuis couvert couche après couche du vernis des ténèbres de ce genre de lieu.

Je lui demande ce qu’il fait maintenant. Ben…, hésite-t-il un instant avant d’afficher de nouveau le sourire qui accuse ses pattes-d’oie et m’apprendre qu’il se prostitue. Voilà pourquoi il disait être un pro. Son cul y était en somme accoutumé. Puis, alors qu’on fume assis sur les tabourets, il incline la tête vers mon épaule. Mais qu’est-ce qui lui prend, m’affolé-je. Je suis en principe un passif, moi aussi, je n’aime pas qu’on me la joue comme ça. Ceci dit, il est vrai que pour ce qui est de pénétrer, je l’ai bel et bien pénétré et que peut-être une sorte de responsabilité m’incombe en cette circonstance. Je bande à nouveau.

On est retournés dans la pièce de tout à l’heure et je l’ai pénétré une fois de plus. Ça te fait pas mal la deuxième fois ? Ça va aller ? ai-je pris soin tout de même de lui demander, à quoi il m’a répondu, allègre, qu’il ne pourrait travailler s’il en était autrement.

Aussi, un bref moment, c’était un peu comme si j’avais été son amant. Il faisait déjà bien jour quand on est sortis. Tandis que nous descendions l’escaler de l’entrée de l’immeuble, j’ai allumé de nouveau une cigarette et Yū a fait de même en sortant son paquet jaune d’American Spirit. J’ai acheté deux canettes de café au distributeur qui se trouvait sur le côté et lui en ai remis une. On s’est assis sur une marche de l’escalier.

« Pas d’amoureux ? »

À ma question émise sur le petit bruit métallique qu’a fait, en la posant sur la marche, la courte canette de café :

« Un amoureux…, disons qu’on habite ensemble. »

Le sens de la réponse m’échappait.

« Un hétéro, que j’entretiens. »

… Il en est amoureux. Mais ce ne serait pas une histoire d’amour, puisqu’il est hétéro. Un peu plus qu’un ami, un peu moins qu’un amant ?

Cet homme qui travaillait dans quelque commerce de nuit était criblé de dettes et Yū l’aurait aidé en allant jusqu’à emprunter auprès de sociétés de crédit. S’étant retrouvé à son tour endetté, il en serait venu à se prostituer. 

Des éboueurs en combinaison bleu pâle débarquaient sur le trottoir devant nous tandis que s’était mis à gronder le camion de ramassage.

« Qu’est-ce que tu veux, je ne peux pas m’empêcher de l’entretenir. »

Pendant que j’observais les pattes-d’oie se former sous son rire, se mélangeaient en moi contradictoirement l’envie de jouer au héros en lui venant en aide et le rejet total de cette façon de vivre qui m’était totalement incompréhensible.

On s’est quittés en échangeant nos adresses mail sur nos téléphones.

Le lendemain, je me suis levé vers midi et, en mangeant un german dog dans le Doutor à proximité de chez moi, lui ai envoyé un mail accompagné d’un emoji sourire lui disant de prendre soin de lui et de ne pas hésiter à me contacter s’il avait un problème. Merci, tu es gentil 〇〇, m’a-t-il répondu aussitôt. Dans ce 〇〇 figurait mon prénom dont il ne se souvenait pas, mais que je lui avais communiqué derechef la veille, moitié pour le lui rappeler, moitié pour me présenter pour la première fois.

Mais, depuis, on ne s’était plus fait signe. Puis, à l’aube de la quarantaine, nous nous retrouvions de nouveau dans le bar gay de notre première rencontre.

Yū maintenant habiterait du côté de Kamata, cette fois avec un amant comme il faut, mais continuerait à contribuer largement au budget du couple. On ne se refait pas, me dis-je. Je ne l’avais entendu parler de son style de vie que ce matin-là. Le court laps de temps de cette matinée et celui en ce moment même se rejoignaient sur une ligne droite tirée par une règle. Je n’avais aucune idée des vicissitudes censées avoir eu lieu entretemps, ni ne chercherai probablement à savoir ce qu’il pourrait lui advenir par la suite.

« La journée, je travaille au service information d’un grand magasin.

― Mais oui, la demoiselle de la réception. »

Sur quoi Hiko-hiko-san part, « Ho-ho », d’un petit rire de quelque bonne divinité.

À cet instant, mon attention se porte de nouveau, par-dessus son épaule, sur la caméra de surveillance. J’avais l’impression qu’à côté de ce cyclope se tenait un autre œil, resté résolument clos.

Je fixe Yū. Une obscurité me paraît couvrir la moitié du champ visuel, comme lorsqu’on n’ouvre qu’un seul œil.

Ce sont ces ténèbres de Kōenji qui avaient, une seule fois, uni nos corps. 

Allongé sur un matelas phosphorescent comme un lichen dans les ténèbres aux senteurs douceâtres, j’attendais que quelqu’un vienne. Cela m’était égal d’être couché sur un matelas changé on ne sait quand et sans doute taché de sperme ici ou là, j’étais même prêt à payer le droit d’entrée rien que pour goûter le mince frisson de m’allonger au fond de ces ténèbres crasseuses. De ne pas pouvoir y baiser certains jours ne me gênait pas. Il me suffisait de tremper le corps dans l’angoisse de ces ténèbres. D’aspirer le mal dont elles étaient emplies, d’en faire partie. Les ténèbres sont en expansion. Elles bandent et je bande moi aussi.

La musculature naissante, devenu un habitué des salons de bronzage, coiffé mi-long comme le veut la mode et accompagné jusque dans la journée par les ténèbres que je m’applique couche par couche les weekends, je suis enfin prêt à vivre comme bon me semble.

Peu importe de ne pas pouvoir baiser. En faisant étinceler seul le blanc des yeux de mon corps bruni comme un gâteau au chocolat, dans le parfum d’agrumes que répand ma poitrine décorée d’une chaîne, je jauge d’un regard arrogant, le dos appuyé contre le mur du couloir, les hommes qui vont et viennent en silence. 

Je suis retourné dans le vestiaire désert et je me suis dressé devant la glace haute et étroite.

S’y reflète mon corps teint de part en part par la luminescence violette. Les plis des abdominaux s’y distinguent avec netteté. Le torse n’est pas encore bien épais, mais il n’est pas pour autant dénué de saillie. Les hanches se resserrent en direction du boxer en décrivant une courbe en S. J’ai à présent un corps parfait. Maintenant, je peux baiser autant que je veux. Alors ce soir je peux m’en passer. Mais un jour viendra où plus personne ne voudra de moi. Que je me souvienne. Que je me souvienne de cette image. Que je me souvienne que devant cette image violette, j’ai voulu en garder le souvenir. Une image qui se perdra nécessairement un jour. Que je m’en souvienne, oui, moi, de ce corps à moi.


Chiba Masaya, Magic Mirror, 2020
Traduction Jacques Lévy

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